Qui ne connaît le CMI, le Complexe Militaro-Industriel ? Eh bien, il coule corps et biens (bel et bien). Les signaux dans ce sens ne cessent de s'accumuler, découvrant un nouveau terrain de grandes réformes miraculeuses et impossibles pour Trump et son équipe-MAGA. Le remède se nomme : nationalisation, – sans dire le mot, qui sent le souffre et est d'ascendance diabolique aux USA.
Un journaliste russe, Malek Dudakov, nous explique toute l'affaire sur un ton imperturbable. Il s'attache à quelques indications très significatives mais sans développer l'ampleur du séisme qui se dessine. Nous essaierions de nous en occuper.
« Nationalisation du complexe militaro-industriel américain.» L'équipe économique de Trump a eu recours à une nouvelle manœuvre : racheter des actions d'entreprises en difficulté, d'importance stratégique pour l'Amérique. Le premier d'entre elle est Intel, dont 10% des parts sont désormais détenues par le gouvernement américain.
» Viennent ensuite les géants militaires, qui, comme Intel, sont confrontés à des difficultés financières. Citons tout d'abord le géant aéronautique Boeing, en difficulté. Il a terminé l'année 2024 avec une perte de 12 milliards de dollars. La dette de l'entreprise dépasse les 50 milliards. [...]
» Outre Boeing, Lockheed Martin figure sur la liste des candidats présélectionnés. L'entreprise subira d'importantes pertes en 2025, ses revenus ayant chuté de 80 %. Cette situation s'explique par la hausse exorbitante de l'inflation dans le secteur militaire et par des problèmes de production. L'activité militaire de Lockheed Martin est devenue déficitaire pour la première fois depuis plus de dix ans. Le programme F-35 suscite de plus en plus de problèmes... »
D'autres observations concernant ces deux géants (et tout le domaine) qui constituent à eux seuls, directement et indirectement, entre 60% et 70% de la puissance de l'industrie aérospatiale et d'armement des États-Unis...
• Les ennuis de Boeing sont connus, surtout dans sa branche civile avec la catastrophe des 737 MAX et tout ce qui a suivi, dans une ambiance mortifère de menace et de terreur concernant les méthodes de gestion et les "économies" faites chez Boeing par une direction entièrement "financiarisée" depuis 2010-2015. Du même Dudakov, le 20 février 2025, – même si, depuis, Musk a disparu de la scène :
« La Maison Blanche est indignée par les malheurs du géant aéronautique américain, au bord de la faillite. Elon Musk a été chargé de remanier Boeing afin que l'entreprise se débarrasse de la bureaucratie excessive et se remette en marche.» Le contrat de création de deux nouveaux avions présidentiels Air Force One est menacé. Ceux qui doivent voler actuellement ont plus de 30 ans. Par conséquent, ils tombent constamment en panne au moment le plus inopportun. Les délais de livraison des nouveaux avions ont été décalés à la hausse pour les années à venir. Et le budget a tellement explosé que Boeing perd déjà 2,5 milliards de dollars sur ces appareils. »
• Mardi, le secrétaire au Commerce Howard Lutnick était interrogé lors de l'émission ‘Squaw Box' de CNBC. Suite à la décision de rachat pour $9,5 milliards de 10% des actions de Intel, l'interview portait effectivement sur les intentions de nationalisation par rachat massif des grands contractants de la défense. Lutnik a renvoyé la balle aux gens de la défense, sous-entendant que cette question brûlante devrait devenir le principal "chantier" du Pentagone dans les années à venir.
« "Oh, il y a un débat monstrueux sur la défense" a répondu Lutnick, ajoutant que Lockheed est désormais "pratiquement une branche du gouvernement américain" car il tire la majeure partie de ses revenus de contrats fédéraux. "Mais quel est l'aspect économique de tout cela ? Je vais laisser cette affaire à mon collègue secrétaire à la Défense et au secrétaire adjoint", a-t-il déclaré, faisant référence au secrétaire à la Défense Pete Hegseth et à son adjoint, Steve Feinberg. "Ces gens sont sur le coup et ils y réfléchissent". »
Cette question désormais posée constitue une énorme inconnue et une voie rapide, soit pour les catastrophes industrielles et militaires, soit pour l'action terroriste d'une équipe Trump qui n'hésiterait pas, dans le cadre d'une nationalisation, a exercer des pressions énormes sur ses divers "alliés" pour forcer à l'achat des armements et des avions de transport devenus objets directs du trésor public et de son influence... Ce sera d'ailleurs et sans doute les deux : catastrophes internes et menaces et pressions extérieures.
Que ne ferait-on pas pour faire MAGA dans l'industrie d'armement ? Mais ‘Great Again', est-ce vraiment le cas ? Y a-t-il une réforme à faire et est-il possible de faire une réforme de cette monstrueuse industrie ? C'est parler comme si le Pentagone était une chose normale qui aurait existé auparavant et aurait fonctionné avec mesure et sagesse. C'est faire erreur, gravement erreur.
Comment couler avec ‘Moby Dick' ?
Ici se pose un redoutable problème, accessible aisément même au plus naïf des bons sens sous la forme d'une drôle de question extrêmement simple. On ne cesse de marteler que le Complexe Militaro-Industriel est l'un des principaux "fauteurs de guerre" dont l'Ukraine est un formidable exemple, parce que le CMI amasse ainsi de formidables revenus. Mais où sont donc ces "formidables revenus", alors que les achats et livraisons d'armements vers l'Ukraine et Israël battent leur plein ? Où sont donc les fortunes accumulées par le CMI grâce aux guerres qui ne cessent de se développer, sur sa poussée principalement dit-on, grâce aux parlementaires du Congrès que le CMI entretient grassement et qui votent comme un seul élu en faveur des guerres ?
Mieux encore, c'est-à-dire pire : c'est justement l'afflux de commandes, le développement de nouveaux programmes de guerre qui sont en train de couler des monstres tels que Boeing et Lockheed Martin, au point que le gouvernement doit envisager une nationalisation qui ne dit pas encore son nom. Alors, que se passe-t-il ? Qu'est-ce que le Système est-il en train de nous faire ?
Eh bien, c'est tout simple : il va falloir revoir de fond en comble nos explications comploteuses et corruptrices sur le rôle des groupes de pression et de puissance dans la marche de la " politiqueSystème". Dit autrement, il s'agit de voir que nous nous trouvons, avec ces formidables contradictions, au cœur de la GrandeCrise, exactement en son cœur. Si vous voulez une formule simples et naïve de la principale contradiction qui rend toutes nos explications comploteuses-corruptrices caduques et bancales, la voici : au plus le CMI reçoit de l'argent pour de pharamineuses commandes, au plus il perd de l'argent sur chacune de ces "pharamineuses commandes". Son complot corrupteur, crise même du système de l'américanisme et de son hypercapitalisme se nourrissant d'hyperguerres sans fin, se heurte à une crise de dimensions semblables sinon plus grandes : la crise du technologisme. Toutes les deux mises ensemble, c'est-à-dire l'une additionnée à l'autre et l'une s'opposant à l'autre, ces deux crises sont des facteurs fondamentaux de la crise d'effondrement du système de l'américanisme et du Système tout court, – bref, la GrandeCrise elle-même.
Pourquoi croyez-vous que le budget annuel du Pentagone frôle officiellement les mille $milliards et en réalité atteint 1 300-1 400 $milliards, soit autant qu'une dizaine/une quinzaine de budgets militaires d'autres puissances, dont ceux de la Russie et de la Chine, deux pays qui se sont d'ores et déjà affirmés comme supérieurs aux USA dans nombre de domaines de la puissance militaire, – à commencer l'intégration et le bon usage des technologies avancées ? Parce que ce monstrueux budget est totalement improductif et qu'il a atteint le haut de sa courbe du principe de Peter, qu'il est maintenant dans la zone catastrophique "où plus vous mettez d'argent plus vous en perdez".
Un des derniers grands patrons de l'industrie de défense, Norman Augustine, – on aurait pu le surnommer saint-Augustine, – avait écrit dans les années 1980 un livre assez joliment interprété comme contenant "Les lois d'Augustine" (titre du bouquin), dans lesquelles le Principe de Peter régnait en maître. Relisez ce que nous écrivions le 10 novembre 1997, avant même que ce site existât (d'où cet étrange ante-datage), alors que nous travaillions sur du pur papier de la Lettre Stratégique ‘dd&e' :
« Norman Augustine fut un des "grands patrons" américains (« fut », puisqu'il s'est retiré le 1er août 1997 pour une fin de carrière universitaire, au Massachussets Technology Institute). Il fut l'architecte de la fusion Lockheed-Martin (il était PDG de Martin-Marietta), et il est resté le "philosophe" de la bande, l'homme qui conceptualise et commente les actes industriels fondamentaux. Avant l'industrie aéronautique, il avait été au Pentagone, comme secrétaire à l'US Army dans les années soixante-dix. Il avait rapporté de cette expérience un livre (‘Augustine's Laws') qui, avec l'arme de l'humour pour faire passer la pilule, traçait un avenir sombre du chaos budgétaro-démocratique de l'"art" du procurement (achat des matériels militaires) au Pentagone.» L'une des "lois" d'Augustine est restée fameuse : "Si les méthodes du Pentagone et l'évolution des coûts ne changent pas, le budget du Pentagone autour de 2050 servira à acheter un seul avion de combat. Celui-ci sera confié trois jours par semaine à l'USAF, trois jours à la Navy et le septième au Marine Corps". En 1997, presque vingt ans après, cette "loi" d'Augustine n'a pas pris une ride, on peut même avancer que les événements ne cessent de confirmer sa prévision rocambolesque. Lui-même, Norman Augustine, n'hésite pas à continuer à la citer, ce qui montre qu'il la juge toujours actuelle. »
Nous sommes pas loin d'être au bout de la route, où les "lois d'Augustine" ont abouti à une monstrueuse crise du technologisme qui détruit les monstres américanistes, – Boeing, Lockheed Martin & compagnie, – soi-disant profiteurs de guerre et plus simplement monstrueux crétins qui font des dépenses de défense le plus gigantesque tonneau des Danaïdes qu'on ait connu. Entre un F-35 à $200 millions l'exemplaire qui ne décolle que les jours fériés et un porte-avions de 100 000 tonnes qui ne catapulte ses avions que durant les week-ends, on est atterrés de mesurer la déliquescence de la puissance US qui semble ne s'accomplir qu'à la condition de voir le budget du Pentagone augmenter comme si la catastrophe avait l'étrange caractéristique d'être payée rubis sur l'ongle.. Conforté par cette contradiction catastrophique, Donald Rumsfeld doit ricaner dans la tombe où il fut placé en 2021, brandissant de l'Au-Delà son discours du 10 septembre 2001.
Le secrétaire à la défense (1997-2001) William Cohen, qui fut poète et lobbyiste après le Pentagone, se confia à James Carroll, ancien prêtre devenu commentateur et auteur de ‘The House of War' (surnom qu'il donna au bâtiment du Pentagone) :
« Dans ma tête, j'ai baptisé le Pentagone ‘Moby Dick', et moi je suis un pauvre capitaine unijambiste nommé Achab, et ‘Moby Dick' m'entraîne dans les profondeurs des abysses, moi enchaîné à la corde de mon harpon planté dans son flanc comme une aiguille sans importance, et je l'entend chanter en ricanant comme un Diable en folie... comme un second Titanic... »
Mis en ligne le 28 août 2025 à 00H30